Bribes de bonheur #6
Entre ascension victorieuse, fluidité insoupçonnée, confidences sportives, tartine beurrée et cordes vocales déliées, petit florilège de ces micro-instants m'ayant récemment offert de délicieux shoots de plaisir…
Déceler dans la voix grave de mon père son envie d'éclater de rire. Voir Charles irradier de joie après avoir coupé une belle vague lors de sa première séance de bodyboard (je lui avais jusqu'ici stupidement interdit de tester celui-ci avant d'avoir atteint un niveau satisfaisant en surf…).
Enchaîner les prises sur le mur d'escalade après être tombée 4 fois, sentir mes bras trembler, puis agripper des deux mains la dernière prise (à 20 mètres au-dessus du sol). Rester perchée quelques secondes au sommet de cette paroi vertigineuse et me laisser glisser dans le vide.
Piocher une amande dans la boîte surmontée d'un souriceau réalisée il y a quelques mois.
Essayer d'improviser - à la demande de mon professeur - en dehors des traditionnelles séquences d'asanas, rester figée quelques instants, puis accepter de laisser mes sensations guider mes mouvements. Être ébahie par la fluidité et l'évidence du "flow" qui finit par faire se mouvoir mon corps tel une vague.
Écouter ma petite soeur me décrire sa vie au Ghana.
Me réjouir à chaque nouvelle story "look" d'Emmanuel Isaia, tant j'aime son style, son chic et son humour pince-sans-rire.
Faire cuire un gâteau tôt le matin, afin de susciter un sourire gourmand sur le visage ensommeillé de Charles.
Sentir un poisson me frôler le pied.
Recevoir un énorme citron de la part de notre voisin et le manger en entier avec délectation (le mix pulpe acide/épaisse couche blanche moelleuse/zeste ravit particulièrement mes papilles).
Discuter avec le propriétaire de la boutique de surf où j'achète mon matériel depuis 3 ans et réaliser qu'il fait partie de ces gladiateurs des flots qui dévalent les monstres de Nazaré. Mais aussi et surtout qu'il connaît personnellement tous les surfeurs de grosses vagues qui nous fascinent tant Charles et moi. Appuyés contre son comptoir rempli de boîtes de wax, nous le bombardons de questions. Verdict : Kai Lenny est bel et bien un surhomme à la résistance physique hors du commun. Justine Dupont est fidèle à l'image que l'on se fait d'elle, à savoir une fille simple, humble, adorable et super performante. De son côté, Lucas Chumbo devrait selon notre interlocuteur faire un peu moins la fête : ultra talentueux, le jeune homme a apparemment tendance à se reposer sur ses acquis…
Chanter à pleins poumons "Hier encore" sur les routes sinueuses de Sintra.
Prendre une petite vague, enchaîner sur une seconde plus grande qui se forme dans sa continuité, la couper, me retrouver dans un début de tube, sentir les secondes se suspendre et mon corps - accroupi une jambe tendue en avant - faire un avec la planche, être là sans être là, frôler le temps d'une respiration une autre dimension. Sortir de l'eau un sourire immense aux lèvres, croiser le regard stupéfait de mon prof et sourire encore plus.
Observer mon cerveau tisser la biographie loufoque de la créature que je suis en train de sculpter.
Croquer dans la croûte craquante d'une large tranche de pain surmontée d'une épaisse couche de beurre salé.
Regarder pour la seconde fois "The Office" et me délecter de l'insolence - qui m'apparaît aujourd'hui infiniment exotique - de cette série.
Observer à la dérobée mon mari replanter des arbres fruitiers et le trouver terriblement sexy.
Percevoir le léger frétillement d'une idée nouvelle - mais encore floue - qui éclot dans ma tête.
M'abîmer dans la contemplation de vagues massives semblant chuter au ralenti.
Constater sur ma peau le retour de la marque blanche de mon alliance.
Voir surgir de la glaise - au moment où je suis sur le point d'abandonner - le visage ou le mouvement que je cherchais à créer depuis plusieurs heures.
Découvrir les premières fleurs blanches ourlées de rose d'un de nos pommiers.
Sentir mon coeur prêt à exploser de tendresse en admirant les photos de famille d'un de nos couples d'amis les plus chers (voir ici).
Nourrir mon imagination en scrutant les photographies de la période fin 19e/début 20e siècle (voir ici, ici et là).
Croquer dans les carottes que nous avons fait pousser nous-mêmes.
Entendre Charles jeter à l'un de ses ennemis imaginaires : "De toute façon toi tu ressembles à Héphaïstos !".
Retrouver Garrett McNamara dans la deuxième saison de "100 Foot Wave".
Me servir un verre de vino verde en écoutant la grand-mère de Julien me raconter au téléphone sa jeunesse rocailleuse.
Me glisser dans les draps venant de sécher au grand air.
Écouter les messages vocaux de Charlotte en conduisant sur la route à flanc de falaise qui me mène au yoga.
Oser poser une question technique à un sculpteur reconnu et recevoir une réponse particulièrement généreuse.
Apercevoir sur le bureau de Géraldine l'une de mes petites baleines en céramique.
M'endormir en compagnie de Tom Neale, le narrateur du récit "Robinson des mers du Sud".
Me plonger dans la piscine encore très froide, rester immobile dans l'eau et voir mes pensées s'affûter progressivement.
Choisir les torsades les plus grosses, les cuire "al dente" et les savourer avec une pincée de piment d'espelette et beaucoup (beaucoup) de parmesan généreusement râpé.
Voir Charles arrêter soudainement ce qu'il était en train de faire, partir chercher son carnet et y inscrire frénétiquement l'histoire à laquelle il vient de penser.
Par Lise Huret, le 21 avril 2023
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