Chronique #178 : Honnêteté stylistique et pantalon kaki
Depuis quelques mois, j'ai terriblement envie de cocons bruts permettant d'inventer ma propre sensualité, de vêtements m'autorisant à raconter une histoire différente de celles dictées par les tendances et les stéréotypes. Or, dans mon cas, il s'avère que c'est la plupart du temps au sein du chromosome Y des collections que se nichent ceux-ci…
Vivre au Portugal, loin du regard des passants des métropoles, m'a fait prendre du recul sur ma manière de me vêtir. Être au plus près des éléments, pratiquer quasi quotidiennement un sport nautique et dévaler régulièrement les sentiers côtiers m'a permis de me détacher de l'avis d'autrui au profit de mes propres ressentis. Il faut dire qu'au creux des vagues, pas de faux-semblants…Peu à peu, cette honnêteté imposée, cette implication sans fard qu'exige la pratique du surf a fini par infuser ma manière d'envisager mes looks. Ne désirant plus faire de concessions, mon objectif devint dès lors de tout mettre en oeuvre pour incarner mon idéal stylistique (50% de masculinité, 20% d'ondes douillettes, 20% d'énergie sportswear et 10% de délicatesse).
Je commençais alors à porter un regard différent sur l'offre fashion, cessant de me projeter dans des vêtements dits "féminins" et m'intéressant davantage aux marques masculines spécialisées dans l'univers outdoor/streetwear, tout en me focalisant sur le confort des modèles et leurs couleurs. Une approche partagée par Michela Meni et Ana Gimeno Brugada qui, bien plus avancées que moi sur leur propre chemin stylistique, m'offrent régulièrement de quoi phosphorer.
Oui mais voilà, j'ai beau savoir ce que je veux, il n'en demeure pas moins difficile de dénicher les pièces dont j'ai besoin. Cela fait ainsi plusieurs mois que je recherche - sans succès - un pantalon masculin kaki (composante essentielle de bon nombre de looks que j'ai en tête). Or, de Carhartt à Dickies en passant par A.P.C., Ader Error, ERL ou encore Kenzo, je n'ai longtemps rien trouvé qui mérite d'être essayé ; la faute à une poche mal placée, à une teinte de kaki hasardeuse ou à un bas de pantalon trop resserré. Cette recherche se révéla tellement frustrante que je finis par renoncer…
C'est donc l'esprit vierge de toute envie vestimentaire que je pénètre samedi dernier chez Zara. Je traverse rapidement la section Femme (légèrement perturbée par le premier degré navrant des pièces sixties qui y pullulent) et atteins la partie du magasin - toujours beaucoup plus calme - dédiée aux hommes.
Un portant surchargé surmonté d'un panneau "Soldes" attire alors mon attention. Il faut dire que je n'aime rien mieux que de plonger dans ces vêtements que personne n'a voulu : ils ont perdu leur arrogance, ils ne sont plus que matières ; ils forment une sorte de glaise de tissus ne demandant qu'à être façonnée, réinterprétée. Un vêtement d'homme soldé est ainsi pour moi la quintessence de la liberté. Il autorise l'erreur, il décomplexe.
Je touche les cotons, les velours, les viscoses. Ma main s'arrête : elle aime la fraîcheur à peine cassante de ce qu'elle touche. Elle extrait sa trouvaille. Face à moi, un chino lichen à taille coulissée. Le volume me semble intéressant. Je ne regarde pas la taille (je me moque s'il s'agit d'un S ou d'un XL) et me dirige vers les cabines d'essayage.
Je l'enfile, le cale sur mes hanches, resserre le lien blanc, roulotte le bas et sors devant la glace extérieure. Il est parfait. J'effectue un rapide squat afin de tester son confort : rien à dire. Dans ma tête, les possibilités d'associations avec les pièces que je possède déjà affluent. Ce pantalon est pour moi un "no brainer". Il colle à celle dont je dessine de plus en plus précisément les contours, celle qui se confectionne des colliers orange acide, saumon ou encore ultraviolet afin de doper ses looks tomboy, celle qui craque pour des chaussettes moelleuses bicolores pour accompagner ses Birk', celle qui se ment de moins en moins.
Quelques heures après avoir posté une photo dudit pantalon en story sur Instagram, je reçus ce message de la part d'une lectrice : "Je n'ai jamais autant aimé un de tes looks. C'est rare de réussir à porter un vêtement masculin avec autant d'élégance et de féminité." . Son ressenti me confirma ce que je pense profondément : aller vers son unicité est le moyen le plus efficace pour réussir à livrer la meilleure version visuelle de soi-même…
Par Lise Huret, le 07 février 2022
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Alors est-ce que l'unicité suffit ?