Le futur pro de 7 ans et demi
Le corps gracile (que l'on devine néanmoins puissant) et le cheveu délavé par plus de 365 bains de mer par an, il dévale la pente sablonneuse avec sous le bras sa "short board" dangereusement pointue. Face à l'eau, il ne marque aucun temps d'arrêt et s'élance au-dessus de la première vague, le corps collé à la planche. Il fend l'écume. Sa fluidité est désarmante. Tel un jeune poisson joueur, il "duck dive" sans effort, contourne une mousse déferlante et reste quelques secondes en apesanteur au sommet d'une montagne bleutée. Une fois arrivé au "line-up", on le voit zigzaguer rapidement entre les surfeurs. Alors qu'une vague majestueuse se profile, l'excitation sur les flots est palpable. Ils sont 5 à s'élancer, mais il est le seul à réussir à s'y engouffrer. Aussi à l'aise que sur une rampe de skate, il y glisse à une vitesse vertigineuse, enchaîne les "bottom turns" et termine en s'envolant dans les airs, laissant ses aînés sans voix. Après deux heures de haute voltige aquatique, le voilà de retour sur le sable. Il y plante sa planche, caresse la tête de son petit frère, s'assoit à côté de sa mère et croque voracement dans le sandwich baguette/chocolat qu'elle lui tend.
Les deux copines allemandes
Plutôt que d'opter pour un cours collectif, elles ont préféré se débrouiller seules en se contentant de louer deux softboards massives et rassurantes. Il faut dire que leur récent voyage à Bali les a mis en confiance : glisser sur les vagues douces de Batu Bolong n'avait pas présenté beaucoup de difficultés. Les voici donc, rieuses, le visage blanchi par un écran total à base de filtres minéraux, le corps moulé dans une combinaison psychédélique (enfilée sur la jetée après avoir troqué - sous les yeux de tous - leurs sous-vêtements contre un bikini), prêtes à renouveler l'expérience balinaise. Les voici dans l'eau. Cette dernière les saisit par sa fraîcheur. Elles éclatent de rire. Après quelques minutes, leurs sourires cèdent cependant la place à des mines interdites : entre le courant qui les entraîne au large, les vagues qui les frappent comme autant de violents uppercuts et l'impossibilité de passer celles-ci sans se faire renverser, les jeunes femmes affichent rapidement des signes de détresse.
Le professeur de surf, qui leur loue les planches et les observe du coin de l'oeil, soupire. Il confie ses trois élèves à un collègue, saisit une longboard et file rejoindre les infortunées munichoises. Prises dans le "rip current", elles semblent totalement démunies face à la situation. Une fois à leur hauteur, il les rassure et tente de leur expliquer qu'il va leur falloir ramer sur le côté plutôt que d'essayer de revenir directement vers la plage. Un second professeur les rejoint. Ensemble, les deux hommes parviennent - avec difficulté - à les pousser dans une mousse qui les ramène sur le rivage. Hébétées, elles remontent alors leurs planches à la boutique sans prononcer un mot, se changent, puis montent dans leur voiture de location où elles éclatent en sanglots.
Le pro sympa
Sur le chemin le menant à la plage, il salue chaque sauveteur par son prénom, laisse passer les familles chargées de cabas au bord de l'implosion et prend le temps d'expliquer aux jeunes novices comment "waxer" correctement leur planche. Il n'est pas pressé. Il n'a rien à prouver. Devant les flots, il effectue en guise d'échauffement une série de salutations au soleil, renvoie le ballon de foot ayant roulé jusqu'à lui, observe longuement la danse des vagues et finit par s'élancer dans un mouvement aussi fluide que naturel. Porté par le courant, il accède au line-up en un temps record. La houle - massive ce jour-là - le berce. Il attend, laisse les autres surfeurs s'agiter. Il attend LA vague. Celle qui effraiera les moins aguerris, qui balaiera les intrépides, qui avalera les orgueilleux et qui lui offrira la plénitude absolue le temps d'un take-off millimétré. Il attend. Serein.
Le pro pas sympa
La marée est haute, les vagues proches du bord amènent les surfeurs confirmés à terminer leur course non loin des débutants restés dans la zone des mousses. La cohabitation est paisible, chacun respecte l'espace de l'autre. C'était cependant sans compter sur cette star locale qui se met à finir toutes ses vagues en aspergeant magistralement un groupe prenant une leçon de surf. Une fois, deux fois, trois fois… Dans l'eau, les élèves s'agitent. Peu en confiance, ils ne savent pas comment réagir face cette attitude déstabilisante. À la quatrième gerbe d'eau, le professeur interpelle le trouble-fête. Avec un calme olympien, il lui assure qu'il a bien vu qu'il surfait très bien, mais lui demande gentiment d'arrêter de finir sa vague à quelques centimètres de ses élèves.
- "Et pourquoi ça ?" demande alors plein de morgue celui que l'on voit souvent bander les muscles lors des championnats mondiaux de surf.
- "Parce que tu effraies mes élèves, ils ont l'impression que tu vas leur foncer dessus".
Devant le regard narquois du bellâtre, le professeur sent monter en lui cette fameuse rage qu'il essaie de juguler depuis plusieurs mois via d'innombrables heures de méditation. Il lui lance alors :
- "Si tu recommences, je te brise ta planche et je te brise le cou !"
Sur sa board, l'autre éclate de rire et file vers le line-up.
Trois minutes plus tard, 5e gerbe d'eau. Les cours de yoga sont définitivement oubliés, l'aspirant zen tente de sauter sur le fanfaron, qui oublie soudainement d'être courageux et s'échappe vers le sable.
La "fake" surfeuse
Entre le mouvement nonchalamment suave de sa chevelure artistiquement décolorée, sa combinaison Roxy ni trop originale ni complètement banale et la breloque parfumée "Sex Wax" accrochée au rétroviseur de sa Tesla X, cette jeune Norvégienne attire le regard de tous les surfeurs du spot. Elle les intrigue avec sa french manucure, sa plastique d'héroïne de série Netflix et sa shortboard aux reflets lavande exempte de wax. Il faut dire qu'à part discuter avec les mâles alpha scrutant les vagues, faire, défaire, puis refaire encore et toujours sa queue de cheval haute, scruter à son tour l'océan et effectuer quelques étirements face au van des cool kids du coin, la belle ne semble pas vraiment attirée par le dénominateur commun de l'univers dans lequel elle évolue, à savoir le surf. Personne jusqu'ici ne l'a en effet vue prendre une vague…
Mais aussi…
Le quinquagénaire ultra sec qui s'offre 40 minutes de surf à l'heure de sa pause-déjeuner chaque jour depuis 20 ans.
Le surfeur local qui se mue en Michael Corleone une fois arrivé au line-up (c'est SA plage !).
Le touriste anglais fraîchement divorcé (sosie de Toby dans The Office) qui considère les intervalles entre chaque vague comme autant d'opportunités de "speed dating".
La quadra qui, en dépit de ses 3 années de pratique de surf, continue d'avoir la sensation plusieurs fois par session que sa dernière heure est arrivée.
Par Lise Huret, le 05 mai 2023
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