Chronique #175 : S'habiller au masculin
Entre débauche chromatique, avalanche de détails froufroutants, déferlement d'imprimés dans l'air du temps et amoncellement d'étoffes diverses et variées, pénétrer au sein de la section Femme d'une boutique prêt-à-porter plonge systématiquement mon cerveau dans un intense état d'affolement. Sursollicité, il scanne à tout-va, tente d'analyser les informations trop nombreuses et finit rapidement par voir flou...
À l'instar du rayon friandises des grandes surfaces, l'offre prêt-à-porter dédiée aux détentrices d'une paire de chromosomes X déclenche en moi une crise d'hypoglycémie par procuration : la décharge virtuelle d'insuline est telle que mon taux de sucre chute au bout de quelques minutes, entraînant avec lui excitation et envie et laissant la place à un état comateux.Afin de faire disparaître les fourmillements envahissant mes tempes, je migre alors vers l'étage consacré aux collections masculines. L'effet est instantané : des étagères saturées en bonbons Haribo de chez Auchan, je passe aux produits bruts et sains de la biocoop. Il est vrai qu'ici, pas ou peu d'effets de manche biberonnés aux tendances aguicheuses : la coupe intemporelle prime sur la découpe asymétrique périssable, les teintes classiques sur les errances acidulées, le produit efficace sur la surenchère de déclinaisons. Je respire.
Cet ascétisme - tout relatif, on s'entend - m'apaise et me permet de réenclencher mes réflexions stylistiques. Contrairement à son pendant féminin (où les vêtements laissent peu d'espace à l'interprétation), le rayon Homme demande de l'imagination à celle qui y pénètre. Il lui faut en effet ici créer sa propre recette avec les denrées qu'on lui fournit, alors que la section Femme l'a habituée aux plats préparés, aux soupes instantanées, aux gâteaux sous vide.
Face à ces chemises non cintrées, ces pantalons cargos vraiment droits et ces gilets aux manches flirtant avec la jointure des doigts, je jubile. Dans la cabine d'essayage, je roulotte, noue, bascule vers l'arrière un col officier, découpe mentalement le bas d'un pantalon kaki, imagine l'impact d'une maille suavement trop grande sur l'une de mes pièces plus délicates puis ceinture taille basse un bermuda qui, une fois roulotté sur la cuisse, se révèle être le plus seyant des shorts. Bref, je construis, déconstruis, joue avec les matières, m'invente des histoires et contourne l'angoissante et aléatoire gradation des patrons du prêt-à-porter féminin.
Il faut dire qu'il n'est plus ici question de 36, 38 ou 42 : j'oublie quelle est "ma taille" et prends systématiquement le modèle qui me plaît en S, M et L afin de pouvoir décider quelle dégaine j'ai envie de lui insuffler. Je ne pense plus en tour de taille, mais en rendu, tombé, impact.
Cette migration vers le vestiaire masculin (qui représente aujourd'hui environ 70% de ma garde-robe), à part ailleurs apaisé ma relation avec la notion de shopping. En complexifiant positivement cette dernière, elle me l'a rendue moins vaine. Véritable exercice pratique, une virée au sein du rayon Homme de chez COS mobilise en effet bien plus ma créativité que mes anciennes et pénibles excursions chez J.Crew, Mango, Maje et autres &Other Stories et se révèle ainsi bien plus gratifiante. Oublions les règles, les do and don't, les barrières de la bienséance : si une combinaison utilitaire aperçue chez Leroy Merlin nous semble plus intéressante que celles d'Isabel Marant, essayons-la ; si le rayon Homme de chez Zara nous apparaît plus attractif que celui dédié aux femmes, bravons les regards interrogatifs des vendeurs ; si les gros pulls tricotés main du marché de Pornic nous font de l'oeil, n'hésitons pas. Bref, construisons notre garde-robe au plus près de nos ressentis. Là se trouve sûrement une des clefs du bonheur vestimentaire...
Par Lise Huret, le 25 juin 2021
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Beaucoup de vérités sur le prêt à porter féminin qui semble parfois dopé aux hormones du (mauvais) goût.
Plumes, paillettes, franges, transparences, existent à peine au rayon homme. Et il faut pouvoir entrer dans un S homme, souvent déjà trop grand pour moi... qui flotte parfois dans le 36 femme là où le 34 n’existe pas et je ne frôle pas le mètre 70. L’interprétation est encore possible au rayon pour femme et heureusement, néanmoins je comprends pour certaines pièces le rayon homme peut être plus judicieux.