Chronique #150 : Genèses vestimentaires
Il suffit parfois qu'un vêtement passe dans mon champ de vision pour que je ressente instantanément une attirance, une évidence, voire un réconfort. Pourquoi certains d'entre eux créent en moi un élan positif de manière immuable et systématique ? Comment s'est construit ce lien inconscient ? Que dit-il de mon rapport au vêtement en tant que tel ? Tentative d'explication...
La casquette bleu marine
En faisant distraitement défiler les photographies du compte Instagram de la griffe Blazé Milano, je ressens une légère décharge de bien-être. Comme si j'avais croqué dans une tranche de pain fait maison de ma mère ou aperçu au loin un ami venant à ma rencontre. Je remonte en haut de la page à la recherche de ce qui a pu déclencher ce shoot d'endorphines et tombe sur le cliché d'une jeune femme en peignoir et casquette de baseball bleu marine. Rien d'extraordinaire en soi, mais le fait est que ce type de casquette portée au sein d'un look cosy, casual ou classique électrise systématiquement mes papilles cérébrales.
Intriguée, je tente alors de comprendre comment cette fameuse casquette a pu se graver aussi positivement dans mon esprit. Les paupières fermées, j'essaie de faire remonter les souvenirs liés à cet accessoire. Très vite, une image m'apparaît clairement : celle de Carolyn Bessette-Kennedy marchant main dans la main avec John F. Kennedy Jr., une casquette bleu marine portée à l'envers sur sa longue chevelure blonde. Si je ne peux dire quand cette photo croisa mon chemin, je me souviens néanmoins avoir été fascinée par la beauté simple de cette femme et par l'aisance financière discrète émanant de sa silhouette. J'enviais ses - supposées - virées en voilier, sa maison à Cap Cod et ses looks que j'imaginais nets et efficaces, saupoudrés de ce je-ne-sais-quoi de nonchalance WASP.
Autant de fantasmes qui se sont retrouvés condensés dans cette casquette bleu marine, qui est depuis devenue pour moi synonyme de cette beauté aristocratique que je trouve si fascinante…
Le mix gros pull bleu marine/jean boyfriend
Que ce soit au sein d'un défilé, d'une série mode ou d'un lookbook, il suffit qu'un ou une mannequin apparaisse lové dans un épais pull bleu marine porté sur un jean un brin large pour que mon coeur s'affole. Cette silhouette provoque en effet chez moi un véritable élan d'empathie stylistique, et je pense savoir où celui-ci prend sa source...
Il faut remonter pour cela à l'année de mes 8 ans, à l'occasion de nos vacances en Lozère. Avec mon frère, nous jouons sur un ponton sur le lac de Naussac. L'une de mes grandes soeurs et son amoureux de l'époque nous surveillent de loin, lorsque soudain mon frère tombe à l'eau. Nous sommes fin octobre, il fait froid, je suis pétrifiée. Je vois alors l'amoureux en question (dont je suis secrètement éprise) courir vers nous, s'allonger sur le ponton et tirer vigoureusement mon frère hors de l'eau. Il lui fait ensuite retirer le haut de ses vêtements et lui donne son propre pull : un confortable pull-over bleu marine.
Sur le chemin du retour, mon frère avance vaillamment devant moi, le jean détrempé aplati de part et d'autre de ses jambes et le pull enveloppant son corps trop maigre de garçon de 12 ans. J'admire autant son courage que l'acte protecteur de celui que je vois frissonner sur le sentier forestier nous menant à notre gîte. À l'intensité dramatique de l'accident succède ainsi un soulagement cotonneux, délicieux.
Depuis ce jour, la vision du duo jean loose/épais pull-over m'évoque un mélange de réconfort vestimentaire et de masculinité à la fois brave et fragile. Une alchimie qui possède apparemment les caractéristiques requises pour figurer au sein de mon panthéon de stimuli esthétiques…
Les vestes en cuir fauve
J'éprouve depuis longtemps une tendresse toute particulière pour les pièces au cuir oscillant entre le jaune et le caramel (et ce d'autant plus si celles-ci affichent une coupe esprit saharienne). Au fil des années, je me suis rendu compte que ce type de modèle m'attire comme un aimant. Ma première veste en cuir fut ainsi un modèle en cuir chamois et aux poches plaquées esprit seventies (une pièce qui continue de m'accompagner 18 ans plus tard).
Or, si j'ai toujours eu l'impression que ce goût prononcé pour les vestes fleurant bon le safari urbain était inné chez moi, j'ai récemment réalisé qu'il n'en était rien. En revisionnant pour la énième fois Itinéraire d'un enfant gâté (l'un des films fétiches de mon adolescence), je réalisai en effet que l'origine de celui-ci devait en réalité être attribuée à la veste qu'y arborait Sam Lion. Il faut dire que celle-ci symbolise tout ce qui m'a toujours subjuguée dans le personnage, entre liberté folle, succès tonitruant, enfance m'évoquant celle de mon père, amour dramatique, cirque, prise de risque, fuite, passion pour Jacques Brel, solitude et égoïsme paradoxalement généreux.
Bien plus que le cuir fauve en tant que tel, ce sont ainsi toutes ces notions qu'il encapsule qui rendent à mes yeux irrésistible toute veste ressemblant de près ou de loin à celle du film de Claude Lelouch…
Par Lise Huret, le 18 mai 2020
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