Chronique #130 : Vacances familiales
Après trois semaines de vacances passées chez mes parents au sein du département le moins peuplé de France, nous voilà de retour dans notre mégapole canadienne. À la fois simples et complexes, doux et intenses, étranges et familiers, ces 20 jours m'ont fait me sentir vivante, aimée, entourée, forte et unique. Voici quelques souvenirs illustrant - de manière non exhaustive - cette escapade lozérienne…
Alors que j'ai l'habitude de piocher une poignée de framboises surgelées dans le bas du congélateur afin d'agrémenter mon smoothie matinal, c'est ici sur les framboisiers bordant les murets alentour que je pars en quête de mon petit déjeuner. Le plaisir gustatif procuré par la saveur de ces fruits sauvages n'a d'égal que le bonheur d'aller chercher sa nourriture à la source...Lorsque ma petite soeur me propose d'aller faire un footing aux aurores dans la montagne, j'accepte sans hésiter : avec mes 45 minutes de course en salle (sur tapis) quasi quotidiennes, ces 3/4 d'heure de runnings ne m'effraient absolument pas. Du dénivelé ? Peu importe ! Je compte bien prouver à ma cadette que je suis toujours aussi performante sportivement. Je pense d'ailleurs secrètement qu'elle ne tiendra pas le coup… Première côte : mes baskets bondissent, évitant avec agilité les bris de roches parsemant le chemin. 400 mètres plus loin, je n'ai plus qu'une seule envie : m'allonger dans l'herbe jouxtant le sentier. De son côté, ma coathlète ne semble éprouver aucune difficulté à gravir cette satanée montagne. Sa foulée est régulière, lente mais dynamique. 200 mètres plus tard, je passe en mode marche. Je vois sa silhouette s'éloigner. Je reprendrai la course un peu plus loin, bien consciente d'être en train de vivre une belle - et cuisante - leçon d'humilité…
La voix grave et chaleureuse de mon père corrige la position de mes mains : depuis mon arrivée en Lozère, j'apprends à prendre le pouvoir sur l'argile. Jour après jour, ce qui me semblait au départ immaitrisable devient de plus en plus fluide grâce à l'enseignement de celui qui mit trop longtemps entre parenthèses sa passion pour la poterie. Centrer, creuser, élargir, monter… Les gestes gagnent en automatisme, la tranche de mes paumes se durcit, mon dos souffre, mais la satisfaction d'apprendre une discipline quasi organique se révèle jouissive.
J'ai beau avoir emporté mes pièces féminines préférées, je passe le plus clair de mon temps dans un short en molleton gris acheté - juste avant de partir - 7 dollars chez H&M. Choisi délibérément trop grand, ce dernier possède cette dégaine tomboy que j'affectionne tant et qui me permet de twister aisément mes tops plus délicats. Ajoutez à cela la réconfortante texture de son coton sporty/régressif et vous comprendrez pourquoi la plupart de mes robes n'ont vu de la France que l'obscurité de ma penderie lozérienne….
L'eau tiède glisse sur mes doigts, mon regard se perd à travers la fenêtre ouverte située juste au dessus de l'évier, les rires des enfants se poursuivant dans les genêts me parviennent assourdis par la distance et les plats fraîchement lavés s'empilent studieusement sur le plan de travail de la cuisine désuète. Si par le passé faire la vaisselle avait pour moi tout de la corvée, j'y trouve aujourd'hui une respiration ressourçante. Les gestes répétitifs me plongent dans un état quasi méditatif. Je me focalise sur les multiples sensations que je perçois. Je suis totalement présente, tout en ayant l'impression confuse d'être au coeur d'un ailleurs intime. Paic Citron : le nouveau vecteur pour atteindre la pleine conscience ? La dernière journée de l'épisode de canicule se voit rythmée par l'arrivée au compte goutte d'une poignée de neveux, nièces, oncles, tantes, soeurs et autres beaux frères. Après avoir amadoués les petits via l'imbattable menu saucisses/gnocchis/glace, les grands s'installent enfin - il est 21h - autour de l'immense table dressée sur la terrasse en pierre de la maison familiale. Les plats de salades y jouxtent le pain sortant à peine du four de la cuisine, les bouteilles de cidre perlent de fraîcheur… Le vent soufflote, les criquets chantonnent quelques mélodies familières et les conversations s'ébrouent. Rapidement, des sujets moins lisses que ceux traitant du bac de l'une ou des futurs déménagements des autres éclosent. Intérieurement, je me crispe immédiatement : moi qui n'aime rien mieux que les atmosphères douces où le consensus fait loi, je redoute les discussions pouvant engendrer des tensions. Tel un petit animal aux antennes ultra-sensibles, je perçois les émotions de chacun, je sais ce qu'il ne faut pas dire, sur quel terrain il est risqué de s'aventurer… J'use ainsi d'ordinaire d'extrême précaution en abordant des thématiques plaisant aux convives et en contournant les potentielles bombes à fragmentation. Une attitude qui a tendance à exaspérer Julien, dont l'amour du débat prime sur toute autre considération lors des dîners familiaux. Ce soir-là, je finirai par m'éclipser avec les plus petits : raconter "La princesse au petit pois" à des lutins épuisés met définitivement moins mes nerfs à vif que lorsque je tente de jouer les casques bleus entre des adultes s'échauffant en parlant géopolitique...
9h - Sur le bord d'une microscopique route cévenole, j'aperçois trois silhouettes en shorts et épaisses chaussures de marche : il s'agit de l'une de mes soeurs, de son mari et de sa plus jeune fille, qui clôturent aujourd'hui une semaine de randonnée autour du Mont Lozère. Deux années s'étant écoulées depuis nos dernières retrouvailles, nous avons décidé de nous offrir un moment privilégié en leur compagnie en les accompagnant sur leur dernière étape. La joie qui m'envahit à leur vue fixe sur mon visage un sourire qui ne s'effacera pas de la journée. Une fois les premières effusions passées, nous partons d'un bon pas. Six heures plus tard, les abords de Villefort - notre point d'arrivée - se dessinent. Je n'ai pas vu les minutes passer, ni ressenti une quelconque fatigue… Nous avions tant à nous dire !
23h - "Allez Lise, tu me l'a promis…". Ma nièce de 15 ans trépigne d'excitation à l'idée de déplacer nos matelas sur la terrasse afin de dormir à la belle étoile. En ce qui me concerne, la perspective de me faire égorger par un descendant de la bête du Gévaudan ou de servir de festin à la bestiole qui saccagea la nuit précédente le tas de compost m'enchante moyennement. Julien lève alors les yeux de son ordinateur et me lance malicieusement : "Tu lui as promis…". Je lui jette un regard noir lui promettant une vengeance prochaine et active, vaincue, l'opération "voûte céleste"...
Le nez pointé vers les étoiles, je suis à l'affût du moindre bruit suspect, prête à dégainer le manche de pioche glissé à mes côtés. Ma nièce, aux anges, s'extasie devant la beauté des astres. Soudain, un frottement me fige d'effroi : des pas… des pas ! Ce sont bien des pas que j'entends. À moins qu'il ne s'agisse des battements de mon coeur qui s'affole ? Nous allons mourir égorgées, ou pire… Prions. La sueur perle sous le molleton de mon sweat. "Maman…" Charles ! Je ne sais pas comment il nous a rejoints, mais le fait est que c'est bel et bien lui - et non un autochtone en quête de chair fraîche - qui se trouve debout à nos côtés. Je pense que je n'ai jamais été aussi heureuse de voir mon fils. J'en oublie de le gronder d'être sorti de son lit au milieu de la nuit et lui fait une petite place sous ma couette...
Mais aussi...
Sélectionner des pêches au marché et apercevoir au loin mes petits neveux - qui habitent dans le même village que mes parents - courir entre les étals.
Aller cueillir les salades du déjeuner au sein du potager édénique de mes parents.
Plonger dans les souvenirs de vacances des uns et des autres : s'attendrir à l'écoute des émois adolescents ayant pour théâtre un stage de kite surf, s'horrifier en découvrant les déboires de ceux ayant expérimenté les punaises de lit des refuges du GR20, se délecter des dernières facéties des plus petits et se sentir un brin dépassée face aux expériences alcoolisées de celles qui hier encore buvaient du Champomy...
Recevoir un compliment infiniment touchant de la part d'un de mes beaux frères que j'essaie d'épater depuis mes 15 ans.
Cuisiner pour 20.
Nous faire dévorer par des moustiques sournois ayant attendu que le soleil se couche pour attaquer en escadron nos chairs alanguies.
Aller admirer le pelage roux des vaches sublimé par la lumière de l'heure dorée.
Me lever à 5h pour m'occuper du dernier né de l'une de mes soeurs absente pour quelques jours. Sortir de son lit ce petit être en turbulette à l'odeur chaude de sommeil et sentir le poids confiant de son corps contre moi me plonge dans une délicieuse nostalgie.
Commander une bière blanche dans l'unique café d'un village lilliputien, se retrouver avec une Leffe blonde et ne rien oser dire.
Manquer de mourir de rire en filmant nos grimaces via la fonction "slow motion" de l'iPhone, puis en écoutant mon futur beau frère - chimiste de son état - nous raconter ses dernières expériences olfactives : dans le but d'améliorer l'usage des toilettes en Inde, son entreprise a pour projet de développer une substance neutralisant l'odeur des déjections humaines. Inutile de vous dire sur quoi portaient les fameux tests olfactifs...
Recevoir la couverture du futur livre de Charlotte, découvrir celle de Géraldine, puis de Lili… Je suis infiniment admirative de mes amies : écrire un livre, cela me semble tellement fou/ardu/courageux/inaccessible...
Dévaler trop vite en VTT les routes isolées traversant les collines mordorées bordant le lac de Naussac.
Entendre le jour de mon anniversaire la voix de mon frère. Artiste nomade qui aurait pu inspirer les mots de Brel ("Telle est ma quête - Suivre l'étoile - Peu m'importent mes chances - Peu m'importe le temps - Ou ma désespérance - Et puis lutter toujours - Sans questions ni repos [...] Pour atteindre à s'en écarteler - Pour atteindre l'inaccessible étoile"), être à l'infini sensibilité et compagnon de jeu de mon enfance, il me manque et en même temps je sais que la vie de solitude qu'il a choisi est la seule qui lui permet d'exister.
Se retrouver suspendue à 10 mètres du sol à une échelle de singe. Maudir cette idée saugrenue d'avoir voulu tester le site d'accrobranche local. Puiser en soi une force insoupçonnée pour balancer son corps à la force de ses bras. S'effondrer sur la parcelle suivante, les biceps tremblotants et le corps secoué d'un fou rire nerveux.
Fêter mes 37 ans à l'ombre des vestiges du château de Luc en dégustant un pique-nique simple et délicieux préparé par mes parents.
Découvrir un concept store au coeur de la petite ville de Langogne. Oui, un concept store ! Et si la sélection des produits présentés demande à être peaufinée, trouver ici un espace de vente mettant en valeur les artisans locaux sans tomber dans le folklore touristique est fort intéressant. La Lozère serait-elle en phase de boboïsation ?
Par Lise Huret, le 12 août 2019
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Il résonne en moi comme à chaque fois que tu évoques ta famille...La mienne est si différente...