Chronique #100 : Le street art, cet éphémère pourvoyeur d'émotions
Le trait tourmenté de Van Gogh a beau me fasciner, les couleurs d'Edward Hopper m'inspirer, les lignes de Camille Claudel m'émouvoir et les flous précocement abstraits de William Turner m'envelopper de nostalgie, c'est néanmoins le street art - pourtant considéré comme bien moins "noble" - qui parvient le plus à éclairer mes neurones les jours de brouillard mélancolique…
À chaque fois que mon esprit se voile et que mon énergie s'envole, je sais que ma seule chance pour ne pas sombrer réside dans le fait de sortir à l'extérieur. Lorsque j'y arrive (environ une fois sur trois), le hasard/la providence se débrouille toujours pour placer sur mon chemin un détail inattendu permettant à mes pensées de s'extraire un temps de la morosité. Un détail qui se matérialise souvent sous la forme d'un accident visuel provoqué par les artistes locaux, qu'il s'agisse d'un passage piéton transformé en arc-en-ciel, d'un panneau de signalisation détourné de son but premier, d'une minuscule souris parfaitement dessinée sur un mur délabré, d'un visage digne d'une toile de maître jouant avec un élément végétal ou encore d'une écharpe tricotée autour d'un tronc d'arbre frileux. Je rends grâce à ces magiciens de l'éphémère emmenant le passant loin de ses soucis du moment en l'extrayant de sa zone de confort visuelle. Sous leurs pinceaux, pots de colle et autres pochoirs, le fantastique pénètre ainsi la réalité, tandis que leur folie espiègle dérange l'ordre établi et dynamite la monotonie.
Ces artistes semblent avoir la capacité de matérialiser ce que nos cerveaux d'adulte ne s'autorisent plus à formuler. Figés dans un monde ultra normé, ces derniers ont en effet oublié l'exceptionnelle fluidité créative dont ils étaient capables au stade de l'enfance. Il est vrai qu'en grandissant, nous avons arrêté de croire en la géométrie variable des choses - voir ici et là - (imaginer un arbre touchant le ciel, un humain de 3 millimètres de haut ou un gâteau à la crème de la taille d'un chapiteau de cirque ne nous posait autrefois aucun problème), à la potentielle incursion d'un personnage imaginaire dans notre quotidien - voir ici, ici, ici, ici, ici et là - (à 6 ans, penser que Tom Sawyer allait venir battre la campagne avec nous n'avait rien d'extraordinaire), à la transformation spontanée des éléments (où sont donc passées les ménageries de nuages de nos trajets passés la tête collée à la vitre de la voiture ?), mais aussi et surtout nous avons arrêté de croire que tout était possible. Or, le street-art permet précisément de ressusciter temporairement la foi en l'impossible de l'enfant que nous étions et d'irriguer l'imaginaire asséché de l'adulte que nous sommes devenus.
Je vénère par ailleurs la générosité du street art qui vient spontanément à la rencontre de l'individu là où les oeuvres exposées dans les galeries se protègent du regard des non-initiés. Bref, vive cette poésie urbaine tantôt tendre (voir ici, ici et là), tantôt grinçante (voir ici et là), qui s'avère pour moi bien plus efficace que n'importe quelle pilule de Prozac !
Par Lise Huret, le 07 février 2018
Suivez-nous sur , et