La concentration des services
Avec sa forêt de gratte-ciels tous plus hauts les uns que les autres, Toronto concentre à la verticale un nombre incalculable de services. Or, il est assez intimidant pour une Européenne de se retrouver au rez-de-chaussée de l'un de ces géants de verre, et plus particulièrement devant l'immense panneau regroupant toutes les activités de l'immeuble (concrètement, on peut en un même endroit finaliser un contrat d'assurance, se faire soigner une carie, effectuer une prise de sang, consulter un chirurgien esthétique, échanger avec un comptable ou encore rencontrer un wedding planner…).
Une fois dans les étages, où des couloirs aussi impersonnels que parfaitement silencieux mènent les patients/clients vers des portes - que seul un numéro permet de différencier - ouvrant sur des univers aussi différents que vivants, l'impression étrange d'évoluer dans une ruche capitaliste à l'organisation stalinienne est à son comble.
Le code de la route... Quel code la route ?
Dépassement par la droite, queue de poisson, pointe d'accélération au sein d'un trafic intense… Lorsqu'on prend le volant aux heures de pointe sur les autoroutes de l'Ontario, mieux vaut sortir d'une séance de méditation plutôt que d'une réunion avec son DRH, tant la tension qui règne sur ces artères est intense. Une tension qui s'explique notamment par le fait qu'il est difficile d'anticiper les actions des autres conducteurs. Curieux me direz-vous : le Canada possède un code la route censé édicter les règles à suivre. Oui mais voilà, celui-ci est peu de choses face aux habitudes de conduite des néo-canadiens, qui varient grandement en fonction de leur pays d'origine. Apparemment, de Bombay à Pékin en passant par Beyrouth, la conduite n'est pas tout à fait la même qu'ici…
Habitudes alimentaires
Je l'avais déjà constaté lors d'un séjour d'un an aux USA, mais ce phénomène continue de m'interpeller : la voiture est ici l'annexe de la salle à manger. Dans les véhicules, tout semble en effet pensé pour faciliter les pique-niques dans un habitacle chaud et cosy : intérieur spacieux, multiples poses gobelets, sièges chauffants… Les drive-in et autres stands de hot dogs nourrissent ainsi aussi bien le cadre exténué que les familles sur le retour de l'école, le groupe d'amis légèrement enivré ou le couple de retraités revenant de chez Walmart.
Et si je pense qu'il est important de prendre ses repas à table, force est de reconnaître qu'il est infiniment pratique de substituer le repas du soir par un arrêt "hot dog" sur la route d'Ikea...
Autrement dit, alors que je vois mes résistances de Française "healthy" fondre petit à petit face à toutes ces "tentations pragmatiques", je ressens de plus en plus d'indulgence envers les Canadiens ayant grandi au sein d'une société où les barres chocolatées sont présentes à toutes les caisses (et ce même dans les magasins de bricolage), où dans les salles de cinéma les snacks correspondent à la ration calorique journalière d'un sportif et où le moyen le plus économique de se nourrir se résume en trois mots : "Mac and Cheese"...
L'homogénéité du style "hipster"
Entre chaises en fer dépareillées, lampes industrielles, bouquets d'ampoules, petites tables rondes, longues planches de bois sur pieds métalliques, ardoises marquées de phrases "feel good", jeunes hommes barbus et tatoués, bancs en bois placés devant une vitrine à la calligraphie déliée, fauteuils en cuir usagé, boissons au charbon et livres aux pages gonflées suite à une exposition prolongée aux éclaboussures de café, les lieux "bobo" se suivent et se ressemblent. Il faut dire que de Paris à Toronto en passant par Portland et New York, les codes du cool/healthy/branché restent les mêmes. Or, ce clonage esthétique aux vertus instagramiques a tendance à me rendre schizophrène : si j'apprécie la beauté faussement imparfaite des lieux, les boissons aux promesses chamaniques et les baristas semblant sortir d'une série mode underground, cette uniformisation jusqu'au-boutiste m'apparaît dans le même temps totalement antinomique avec la notion même de "cool"...
Mais aussi…
Je ne me fais toujours pas au fait que les serveurs dans les restaurants viennent au moins deux fois demander si tout se passe bien. C'est très prévenant, mais néanmoins un peu surprenant.
Lorsque je marche dans la rue, il m'arrive régulièrement de croiser des petites filles portant un voile accompagné d'une longue robe choisie dans une couleur très sombre. En tant que femme/mère, j'ai du mal à comprendre la nécessité de dissimuler ainsi une fillette de 5 ans et de l'entraver dans sa vie d'enfant...
Plus d'un an après notre arrivée à Toronto, le nombre de personnes âgées effectuant des petits boulots continue de m'impressionner.
Quand vient le week-end, il n'est pas rare que nous options pour une escapade au parc d'attractions Canada's Wonderland, où apporter de la nourriture est interdit. Or, lorsque les ventes gargouillent, il devient vite très difficile de résister à leurs cornets de frites à… 8 dollars ! Vous avez dit machiavélique ?
Par Lise Huret, le 25 août 2017
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