S'il fait aujourd'hui se pâmer d'admiration Maria Luisa Poumaillou (qui estime que la griffe est actuellement l'une des seules à allier prix raisonnables et créativité léchée), le positionnement de Carven n'a pas toujours été des plus accessibles. À ses débuts, la maison Carven se voulait en effet bien plus couture que prêt-à-porter...
Après avoir suivi des cours aux Beaux-Arts et fini son apprentissage auprès de son beau-frère architecte, Carmen de Tommaso décide en 1944 de lancer sa griffe, qui se nommera Carven (contraction de son prénom et du nom de famille de sa tante, Boyriven). Son concept : habiller les femmes petites et menues, qui peinent alors à trouver des vêtements les mettant véritablement en valeur.
Se voulant plus pragmatiques qu'alambiquées et recherchant avant tout le confort et l'élégance, les pièces conçues par Carmen de Tommaso font rapidement mouche auprès des femmes, qui trouvent chez Carven cette fraîcheur faisant souvent défaut aux couturiers de l'époque.
Il faut dire que la créatrice n'hésite pas à bouleverser les codes, que ce soit en se montrant bien plus sympathique et accessible que ses confrères ou en privilégiant la coupe aux fanfreluches. La jeune femme crée ainsi une mode facile à vivre au quotidien, un concept que sa génération appelle d'ailleurs de ses voeux.
Toujours guidée par le même souci de pragmatisme, elle étoffe régulièrement ses collections de tenues de sport, lorsqu'elle n'offre pas quelques centimètres salvateurs aux petites silhouettes par le biais de savants effets de coupe.
Passionnée de voyages, elle effectue plusieurs fois le tour du monde, dont elle tire moult sources d'inspirations. Elle est ainsi l'une des premières à injecter des imprimés africains et indiens - dont le fameux batik - à ses créations. Elle s'inspire également des nombreuses techniques de broderie qu'elle découvre au fil de ses pérégrinations.
La griffe Carven se veut alors jeune, dynamique, en phase avec son époque et non dénuée de fantaisie. Carmen Tommaso n'hésite en effet pas à coudre ses robes dans un pimpant vichy rose et à faire des rayures vertes et blanches l'une de ses marques de fabrique. À l'instar de ses collègues, elle lance également quelques parfums ("Ma Griffe" en 1946 et "Vétivier" en 1957), dont les notes fraîches ne font qu'accentuer l'aura légère et primesautière de la maison.
Les années 50-60 marquent l'apogée de la gloire de Carmen Tommaso : ses créations, aussi confortables qu'espiègles, s'arrachent. Son style est d'ailleurs si unanimement apprécié qu'on lui commande de nombreux uniformes, de celui des contractuelles à ceux de diverses compagnies aériennes. C'est enfin elle qui sera choisie pour dessiner la robe de mariée de la future madame Giscard d'Estaing...
Cela dit, avec le temps, la maison peine à rester en phase avec son époque. Petit à petit son succès décroît, ce qui l'oblige bientôt à fermer son activité sur mesure. Elle sera ensuite rachetée plusieurs fois, avant que le groupe SCM n'en fasse finalement l'acquisition en 2008, avec pour projet de redonner vie à cette griffe au potentiel alors inexploité.
Ils recrutent alors un jeune styliste, Guillaume Henry, qui dirigea le studio Givenchy deux années durant (juste avant Riccardo Tisci), avant d'oeuvrer aux côtés de Serge Cajfinger chez Paule Ka. Discret et humble, celui-ci reçoit pour consigne de ne pas se préoccuper de l'ancien positionnement haut de gamme de Carven et de se contenter d'habiller les trentenaires d'aujourd'hui en s'inspirant de l'ADN chic et léger qui auréole encore la maison.
Plutôt que de plonger dans les archives de cette dernière, Guillaume Henry préfère alors s'inspirer des parfums de la griffe, dont les effluves ultra fraîches s'avèrent pour lui ultra inspirantes. Sa première collection se déclinera ainsi autour de micro longueurs, de petits volumes que lui inspirent les filles des films de Blier ou de Chabrol.
Il oublie par ailleurs volontairement de citer certains anciens points forts de la griffe, à l'instar de la rayure verte, trop datée à ses yeux.
Entre positionnement commercial assumé - les jupes possèdent deux longueurs, tandis que la production est basée en Europe de l'Est - et créateur entièrement voué à la renaissance d'une griffe irréprochable niveau style, Carven trace depuis l'été dernier son propre chemin. Cette dernière propose en effet aux jeunes femmes une mode digne de ce nom, et ce à des tarifs compatibles avec leur budget.
Tout comme Carmen Tommaso avant lui, Guillaume Henry est donc parvenu à concevoir un vestiaire en adéquation avec la femme moderne et active de son époque. Une résurrection saluée par toute la profession, des acheteurs aux rédactrices de mode. Prochaines étapes : l'ouverture de la "première" boutique Carven en janvier et l'organisation d'un défilé lors de la prochaine fashion week parisienne...
Site officiel : https://www.carven.com
Par Lise Huret, le 02 décembre 2010
Suivez-nous sur , et