Instagram : premier signe de déclin ?
À l'heure où Instagram occupe une place démesurée au sein des stratégies de communication des marques, Bottega Veneta a pris tout le monde de cours le 6 janvier dernier en supprimant purement et simplement son compte. Une décision pour le moins inattendue dont la portée reste à définir : coup marketing éphémère ou prise de position avant-gardiste ?
Au départ réfractaire à l'idée de tisser des liens avec la sphère internet (blogs/réseaux sociaux/e-shops), l'univers du luxe a peu à peu changé son fusil d'épaule. Désireuses de capter la jeune génération (et donc la clientèle de demain), les griffes haut de gamme se sont ainsi mises il y a quelques années à développer des plateformes digitales de qualité, à frayer avec des influenceurs à l'audience massive et à affûter leur image de marque via des parutions Instagram léchées. Désormais aussi empressées de prendre des parts de marché sous les latitudes 2.0 qu'elles étaient jusque-là réticentes à se jeter dans la mêlée, elles n'ont alors pas hésité à prendre leurs distances avec les valeurs traditionnelles du luxe afin de s'intégrer au mieux au sein de ce Far West bankable que sont les réseaux sociaux. Les notions d'exclusivité, de rareté et de mystère cédèrent ainsi la place au nouveau trio de valeurs gagnantes : transparence, démocratisation et immédiateté.
Peu de temps après leur création, les comptes Instagram des Gucci, Chanel et consorts se virent crédités de centaines de milliers de followers, offrant un accès direct au pouls de l'air du temps à ces griffes si angoissées à l'idée de ne plus être à la page. Ces dernières purent alors peaufiner leur communication, ajuster la nature de leurs produits ou encore tester moult concepts via l'analyse des "likes" et autres commentaires émis par leur communauté.
Un formidable outil d'analyse et de communication dont Daniel Lee - directeur artistique de Bottega Veneta - a pourtant choisi de se passer…
Il faut dire que pour une griffe, la présence sur les réseaux sociaux n'est pas sans conséquence. Surexposée, celle-ci doit faire face aux critiques parfois acerbes de ses followers. Or, si lesdites critiques s'avèrent la plupart du temps anodines et sans conséquences, il arrive qu'elles se révèlent létales. Il leur suffit en effet de pointer une maladresse flirtant avec le politiquement incorrect pour que la marque se retrouve soudainement soumise à la vindicte des réseaux sociaux. Qu'il soit justifié ou non, le bad buzz engendré peut alors ruiner une campagne, une saison ou déclencher des licenciements.
Autre écueil : la démultiplication des images, vidéos, produits et autres événements digitaux a tendance à brouiller l'aura de la marque. L'abondance finit par flouter l'ensemble. L'overdose guette. Le désir est comblé avant d'exister.
A l'heure où de plus en plus de designers remettent en question le rythme effréné des collections et où l'adjectif "slow" précéde bon nombre d'intitulés de concepts à la mode, la logorrhée des "stories" et autres posts que se sentent obligées de produire les griffes de mode apparaît ainsi de plus en plus décalé.
Au final, statuer sur le bien-fondé du choix de cet ex-collaborateur de Phoebe Philo semble difficile. Sans parler des nombreuses questions qu'il soulève :
La mode peut-elle se passer des réseaux sociaux ? Si oui, la presse papier retrouvera-t-elle sa place au coeur de la stratégie de communication des griffes ?
Est-il possible d'aller à contre-courant sans pour autant se marginaliser ?
Les griffes de luxe gagneraient-elles à clôturer leur compte officiel et à se contenter de laisser les hashtags et autres comptes de fans entretenir leur visibilité ?
La ringardisation d'Instagram est-elle en marche ? Si oui, par quoi sera-t-il remplacé ?
Quelle sera la nouvelle stratégie de communication de Bottega Veneta ? Sera-t-elle révolutionnaire ?
Par Lise Huret, le 13 janvier 2021
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