Pour ou contre les semelles à bouts carrés ?
Début octobre, un ami m'écrivit : "Les sacs et sandales Bottega Veneta s'arrachent… cette marque va devenir le nouveau Céline". N'étant pas sensible au travail de Daniel Lee, j'accordai à l'époque peu de crédit à cette remarque "d'insider". J'avais tort : quelques mois plus tard, les étranges semelles à bouts carrés imaginés par le DA de la griffe italienne font bel et bien partie des détails forts de la saison printemps/été 2020...
Le parcours d'une tendance est un mécanisme bien huilé : une maison prescriptrice - actuellement Balenciaga, Bottega Veneta ou Jacquemus - présente un produit fort lors de son défilé de saison ; quelques semaines plus tard, elle distribue celui-ci à une poignée d'influenceuses et de journalistes qui attirent l'attention - via moult publications - des bureaux de styles des enseignes de fast fashion, qui s'attellent alors rapidement à produire une version low cost dudit produit (voir ici et là).Spectatrice de cette transhumance entre les podiums et les portants de chez Zara, la modeuse - qui douta dans un premier temps de la désirabilité de l'accessoire en question (qu'elle aperçut en coup de vent dans une pastille vidéo signée Loïc Prigent) - finit par désirer ce dernier au terme de ce processus savamment orchestré par l'industrie de la mode.
Grâce à la magie de ces mécaniques subtiles, moult d'entre nous se dirent ainsi récemment "Pourquoi pas ?" en découvrant chez Mango un ersatz des sandales Bottega Veneta. Pourtant, face à ces semelles à angles aigus, la seule et unique question à se poser est en réalité : "Pourquoi ?".
Pourquoi concevoir des semelles en hommage au bec de Donald Duck, alors que le pauvre canard a quitté depuis longtemps le top 5 des héros préférés des enfants (merci Peppa Pig, Capitaine Superslip et autres personnages à l'aura fascinante…) ?
Pourquoi choisir de casser la douce pente formée par nos cinq orteils docilement rangés en ordre décroissant ? (voir ici)
Pourquoi imaginer des emplacements de parking pour petons manucurés alors que ces derniers rêvent d'écrins raffinés ?
Pourquoi concevoir des sandales-palmes non waterproof ?
Pourquoi créer des semelles donnant l'impression d'avoir avalé un Post-it de travers ?
Pourquoi se sentir obligé de flirter avec la laideur afin de paraître talentueux ?
Pourquoi nous priver des bouts pointus si pratiques pour punir ceux ne respectant les distances de sécurité dans la file d'attente à la caisse ?
Pourquoi s'acharner à vouloir faire paraître les pieds plus grands alors qu'à l'instar du nez et des oreilles, ces derniers ne seront jamais assez petits ?
Autant d'interrogations légitimes qui resteront malheureusement sans réponse, les designers n'aimant rien mieux que de laisser planer un mystère cryptique autour de leurs créations. Un mystère qui ne sert bien souvent qu'à cacher une réalité très prosaïque qui se résume à un besoin chronique de nouveauté.
PS : On note que si la laideur marketée de la semelle à bouts carrés est à bouder sans regret, la version trapézoïdale de cette dernière est quant à elle bien plus envisageable.
PS' : Daniel Lee a réservé une surprise à celles ayant le coeur bien accroché…
Par Lise Huret, le 18 mars 2020
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