Chronique #143 : Les parents d'élèves
Année après année, je ne me lasse pas d'observer les parents évoluant dans l'école de Charles. Typiquement Nord-Américains, ceux-ci me fascinent par leur attitude flirtant volontiers avec la caricature, mais aussi par leur addiction aux playdates, leur amour des grosses voitures, leurs leggings de yoga et leurs sourires parfaits dissimulant tant bien que mal leurs névroses. Portraits...
Mrs O.
Mardi 14 janvier, 8h27. Un Froot Loops rose accroché à l'une de ses mèches blondes, la Canada Goose ouverte sur un sweatpants tirebouchonnant dans une paire de Uggs, elle jaillit de son SUV Mercedes, fait rapidement le tour de son véhicule, s'escrime avec la portière latérale, finit par réussir à l'ouvrir et libère sa progéniture. D'un coup d'oeil rapide mais attentionné, elle vérifie la mise de ses jumeaux, aplatis un épi par ci, récupère in extremis une moufle par là, époussette vigoureusement les restes d'un muffin sur l'uniforme de sa fille et zippe un sac à dos trop rempli.
Derrière elle, les "Hurry up, hurry up !" lancés par le professeur en charge de récupérer les enfants se font sensiblement moins chaleureux. Elle n'en prend pas moins le temps de prodiguer ses dernières recommandations à son fils : "Fais attention à ta soeur, ne montre pas ton slip à tes copains, ne mange pas que le pain de ton sandwich...". Les enfants s'échappent vers le sas d'entrée. Appuyée contre la portière gelée, elle les contemple stoïquement s'éloigner. À quelques mètres de là, le professeur affiche un sourire crispé : la voiture suivante s'impatiente. Soudain, une plainte faussement éplorée retentit : "You forgot my hug !". Les deux enfants se retournent, échangent un regard consterné "Oh mom…" reviennent sur leurs pas et s'exécutent.
Quelques secondes plus tard, la jeune femme plus débraillée que jamais démarre en trombe sous le regard réprobateur des parents qui attendent désespérément qu'elle libère le "drop-off spot".
Quelques jours plus tard, à l'occasion d'un cocktail organisé par l'établissement, la jeune trentenaire est méconnaissable : l'enchevêtrement capillaire a laissé la place à une chevelure lissée, les Uggs à une paire de Stuart Weitzman et le sweatpants informe à une robe Victoria Beckham. Et si les autres mères continuent de lui jeter des regards peu amènes, ce n'est plus tout à fait pour les mêmes raisons…
Mrs T.
Moulée de près dans un legging Lululemon, cette version brune de Gwyneth Paltrow se dirige d'un pas pressé vers l'ascenseur de l'école, y pousse son fils de 6 ans, attend que les portes se referment, s'engouffre dans la cage d'escalier et gravit au pas de course les quelque 80 marches la séparant du 5e étage (il ne s'agirait pas de rater une occasion de brûler les 130 calories de son jus vert matinal).
À peine essoufflée, elle réceptionne son garçonnet - qui ne s'étonne plus depuis longtemps des lubies sporto-compulsives de sa mère - et file vers la classe de celui-ci. Sur le chemin, elle salue d'un sourire à la blancheur glaçante les parents pressés, lance un regard condescendant à l'assistante de français dévorant un généreux cookie et ébouriffe les cheveux de son fils en lançant une oeillade au directeur.
Une fois dans la classe, la longiligne quadra se dirige directement vers la maîtresse encore vaguement ensommeillée et lui rappelle - comme chaque matin - qu'Andrew est intolérant au lait de vache, au gluten, aux noix, au soja mais aussi aux tomates et aux graines germées. Et que bien entendu il lui est interdit de consommer le moindre gramme de sucre (gâteau d'anniversaire, etc...). Elle se tourne ensuite vers son fils et, face à un petit camarade terminant paresseusement un bout de croissant, lui tend son snack du matin (des bâtonnets de carottes). Andrew sourit : c'est un bon jour, il a échappé au céleri.
Mrs L.
Du haut de son mètre 80, elle affiche une bonne humeur à toute épreuve. Toujours volontaire, le pas sautillant et le "hug" facile, elle est de celles qui pensent à amener un porte-voix pour encourager les enfants lors du cross inter-écoles, qui confectionnent une montagne de délicieux petits gâteaux pour contrecarrer la malédiction du "Blue Monday" et qui ne laissent jamais tomber la maîtresse lorsque celle-ci a besoin d'un parent pour accompagner une sortie au musée ou aider à enfiler les patins à glace des enfants. Leader né, elle parvient en quelques emails efficaces à fédérer les parents autour d'une pétition en faveur de snack plus sains, à organiser une fête surprise pour un enfant quittant l'école en cours d'année et à réunir en un temps record les fonds pour les cadeaux de Noël du corps professoral.
Son activité professionnelle reste un mystère, l'élasticité de son emploi du temps également. Et si sa perfection peut parfois susciter un certainement agacement, pour rien au monde les autres mères ne voudraient qu'elle ne change : il n'est en effet pas désagréable de savoir que Superwoman veille sur la classe de son enfant…
Mrs R.
Alors qu'elle observe son fils enlever prestement ses bottes de neige, les aligner contre le mur puis taper le code permettant de pénétrer dans le couloir, cette élégante businesswoman se sent un peu désorientée. Il faut dire que la gestion de sa société de cosmétiques ne lui permet que très rarement de venir déposer son fils à l'école. Son iPhone dans une main, son sac à main Hermès dans l'autre, elle laisse donc son garçon se débrouiller seul. Dans sa vision périphérique, elle entrevoit les autres mères remonter une chaussette, aider à enlever un manteau, embrasser une joue rebondie, tenir un sac à dos, moucher un nez… Ce qu'elle éprouve alors envers ces femmes se situe entre la fascination d'un anthropologue face à une tribu inconnue et l'effroi d'un végétarien face à un carnivore.
Mais le temps presse. Ses talons hauts s'enfoncent rapidement dans la moquette rase. Son maquillage hors de prix ne parvient pas à dissimuler la fatigue de ses traits. Ses doigts pianotent des messages que l'on imagine urgents.
À l'entrée de la classe, l'effervescence qui règne dans ce bocal à l'atmosphère déjà moite la fige brutalement : hors de question pour elle de filer ses collants sur le coin d'une table, de recevoir un baiser poisseux d'un enfant en manque d'amour maternel ou de se faire enrôler pour accompagner la maîtresse à telle ou telle sortie scolaire…
À l'abri derrière la vitre extérieure, elle tapote le verre afin d'attirer l'attention de son fils. Il lève la tête, lui fait un signe imperceptible et retourne doctement à sa construction de Legos. La froideur de cet échange contraste tant avec les effusions passionnées qui l'entourent qu'elle se prend une nanoseconde à douter de son mode de vie. Un bip sonore la rappelle cependant rapidement à la réalité : son prochain rendez-vous débute dans 10 minutes.
PS : Bien entendu, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite…
Par Lise Huret, le 03 février 2020
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