La nouvelle école pour influenceurs ou l'éloge du cynisme
"Qu'aimerais-tu faire comme métier plus tard ?". "Influenceuse !". "Mais ma puce, ce n'est pas vraiment un métier...". " Mais si ! Et il y a même des études pour cela". C'est en discutant hier avec ma nièce de 15 ans - grande consommatrice de réseaux sociaux - que je découvris, un brin abasourdie, l'existence de la "Condé Nast Social Academy"...
Les faits
Face à l'hémorragie drainant depuis quelques années les annonceurs de la presse papier vers les détenteurs de comptes "influents" (Instagram, Snapshat, Facebook ou Twitter), Condé Nast Italie a décidé de réagir. Bien conscient qu'il ne gagnerait pas la bataille frontalement, le groupe de presse s'est donné pour mission de former les influenceurs de demain, avec pour objectif d'en faire rapidement le bras armé de Condé Nast.
C'est ainsi qu'est née tout récemment à Milan la Condé Nast Social Academy, où seront dispensées 240 heures de cours réparties sur 4 mois. Au terme de leur formation, ces "Chiara Ferragni en herbe" se verront décerner un diplôme et intégreront le "Condé Nast network of social influencers".
Ce que j'en pense
En se proposant de "former des influenceurs", Condé Nast balaie mes dernières illusions sur les relations entre presse, marques et comptes influents. Il faut dire que l'on ne parle pas ici d'éduquer un regard sur la mode ou sur la beauté, d'apprendre à décrypter une tendance, de faire fonctionner son esprit critique et encore moins de chercher sa propre voix, sa singularité (ce qui à terme permettrait de générer un contenu de qualité, de créer du lien et donc de l'engagement).
À la place, les étudiants se verront ainsi proposer un programme allant de l'analyse approfondie du marché de la beauté au marketing numérique et aux stratégies de communication, en passant par les techniques de gestion d'audience, le développement de contenu et l'édition vidéo et photographique.
Autrement dit, par "influenceurs", Condé Nast entend en réalité "bons petits soldats formatés pour créer du contenu alléchant susceptible de satisfaire les annonceurs". Dans la pratique, ces futurs experts du hastag bien placé, de la photo parfaitement créditée, du must have monté en épingle et de la sémantique "friendly" permettront en effet à l'éditeur de proposer un service clef en main aux marques désirant communiquer sur les réseaux sociaux et ainsi de pallier la chute de ses propres revenus publicitaires.
Et si l'initiative en est encore au stade d'expérimentation, sa dimension gagnant/gagnant pour les géants de la presse et les annonceurs risque fort de l'amener à prendre rapidement de l'ampleur.
Une évolution qui serait selon moi regrettable, tant l'avènement d'influenceurs "100% formatés" risque d'achever de réduire les réseaux sociaux à une cimaise pour publicités plus ou moins déguisées. Les rares aspérités subsistant encore au sein des comptes influents finiraient alors par disparaître au profit d'un formatage étudié pour séduire telles ou telles cibles prédéfinies...
Par Lise Huret, le 16 novembre 2017
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