Paul Poiret, ou quand mode rimait avec audace, art et innovation
À une époque où les créateurs apparaissent de plus en plus interchangeables, j'ai eu envie de revenir aux sources en passant quelques instants avec celui qui avait le panache des génies et l'audace des visionnaires : Paul Poiret...
À l'instar d'Yves Saint Laurent, Paul Poiret grandit auprès d'une mère et de soeurs lui vouant une véritable adoration. Elles lui offriront d'ailleurs très vite le petit mannequin en bois de 40 cm sur lesquelles il créera ses premières robes.Le jeune homme fit ses armes auprès de Jacques Doucet, puis de Charles Frederick Worth (le fondateur de la Haute Couture).
C'est en habillant la comédienne Réjane qu'il devint rapidement célèbre. Une recette toujours efficace un siècle plus tard, si l'on en juge par la trajectoire de Nicola Formichetti...
Amoureux des lignes fluides dénuées de toute contrainte, Paul Poiret exclut dès 1906 les corsets de ses créations. Il déplace ainsi le centre de la silhouette de la taille vers les épaules ; enfin, les femmes respirent (voir ici, ici, ici, ici et là). La soudaine mise en valeur de la poitrine de ces dernières donnera l'idée à certains de créer le soutien-gorge. Un peu plus tard, c'est en imaginant la jupe-culotte que le couturier continuera d'offrir un peu plus de liberté à la gent féminine (qui est alors interdite de pantalon)...
A la fin de sa vie, alors que Coco Chanel lui a définitivement volé la vedette, il imagine en guise d'adieu une gaine souple et confortable qui continue encore aujourd'hui de faire des adeptes. Visage emblématique de son époque, Paul Poiret est une star à part entière : on le reconnaît dans la rue...
Il fut l'un des premiers à jeter des ponts entre art et mode. Fer de lance du mouvement Art déco, ami des peintres de l'époque et proche des poètes, celui que l'on appelait "Poiret Le Magnifique" dans les cercles parisiens confie ainsi l'illustration de ses catalogues à Paul Iribe et imagine avec Raoul Dufy des imprimés à faire pâlir d'envie Dries Van Noten (voir ici, ici et là).
Il crée ses modèles sur sa femme Denise. La silhouette longue et mince de cette jolie brune devient alors synonyme du style Poiret et influence les stéréotypes de beauté de l'époque.
Si l'on considère souvent les années Palace comme l'âge d'or des fêtes "fashion" parisiennes, c'est bien vite oublier la virtuosité dont Paul Poiret fit preuve dans le domaine. Aussi dépensier que bon vivant, le couturier organisa des événements mondains somptuaires qui restèrent gravés dans les annales de la vie parisienne. Pour avoir un aperçu de leur démesure, il suffit de jeter un oeil aux mémoires de cet amoureux des Ballets russes.
En habillant actrices, chanteuses et autres femmes du monde, le créateur parvenait à insuffler une aura supplémentaire à sa mode mêlant simplicité des coupes et influences persanes. Un système qui continue d'ailleurs encore aujourd'hui de faire école au sein du petit monde de la mode. Bien avant Karl Lagerfeld, il fit défiler quelques-unes de ses collections en Russie.
Il comprit avant tout le monde l'importance du marketing en se servant de son nom et de l'aura de sa maison pour développer des produits n'ayant rien à voir avec le vêtement : il crée tout d'abord l'atelier Martine (d'où sortiront meubles, papiers peints, lampes, etc...), puis lance une ligne de parfums. Il ouvre ainsi la voie aux Chanel et autres maisons de luxe, qui ne pourraient se passer aujourd'hui - sur le plan financier - de leurs fragrances siglées.
Son usage audacieux de la couleur en fait une source d'inspiration intarissable pour les créateurs d'aujourd'hui (voir ici, ici et là).
On ne le sait pas forcément, mais les trois soeurs de Paul Poiret brillèrent également dans le monde artistique : Jeanne fut l'une des premières femmes créatrices de bijoux, tandis que Germaine créa sa propre maison de couture, mais finit par l'abandonner afin de se consacrer à sa véritable passion : la peinture. Nicole (mère de Benoîte Groult) connut quant à elle le succès dans les années 20 grâce à ses robes épurées à la dégaine Charleston.
Par Lise Huret, le 30 octobre 2017
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