Instafood : l'indigestion
Au fil du temps, la nourriture a fini par devenir un sujet à part entière sur Instagram. Et si cela ne pose aucun problème sur les comptes ouvertement dédiés aux arts culinaires, le fait de voir apparaître régulièrement dans son fil le contenu des assiettes de filles évoluant dans l'univers de la mode/beauté/cinéma/lifestyle peut à la longue finir par devenir crispant. Alors certes, cela est le plus souvent fait avec les meilleures intentions du monde (diffuser des ondes "feel good"/partager de bonnes adresses où grignoter une chips de kale…), mais dans la réalité, ces images n'ont pas forcément les effets escomptés…
Le traditionnel Instagram pris au restaurant
S'il est toujours un peu spécial, lorsque l'on déjeune avec une instagrameuse zelée, de voir celle-ci stopper net toute discussion une fois son assiette déposée devant elle, redisposer minutieusement les éléments présents sur la table puis tourner autour de son plat afin d'immortaliser le meilleur profil de son endive braisée, il est encore plus déroutant de constater que certains restaurateurs se mettent désormais à penser leurs plats en mode "Instagram"...
Les micro petits déjeuners
Face à un lumineux quart de pêche et une allumette taille 0 de pain aux graines magistralement disposés sur une délicate assiette de porcelaine (forcément dénichée chez un petit artisan à la renommée encore confidentielle) et présentés comme le petit déjeuner du jour d'une jeune instagrameuse très suivie, le cerveau s'affolle : si un petit déjeuner "normal" correspond à celui de cette gazelle aux jambes interminables, il est temps de revoir les proportions du nôtre. On songe alors à aller échanger notre jolie vaisselle pastel contre le coffret dinette des Sylvanians...
Les nouveaux modes alimentaires
Alors que nous voguons tranquillement sur le compte Instagram d'une influenceuse exilée à L.A., notre oeil est soudainement accroché par la présence de photographies de plats apparemment ultra sains. En légende, l'instagrameuse nous explique que ce mix oeufs/végétaux illustre sa nouvelle vie sans sucre et nous parle des bienfaits qu'elle en retire. On y pense, puis on oublie. Puis on y repense. De manière relativement pernicieuse, l'idée d'arrêter nous aussi le sucre s'immisce peu à peu au sein de nos pensées, et ce alors même que rien ne nous y incite (pas de problème de poids, de fatigue ou de peau). Il suffit parfois d'une image et de quelques mots pour qu'opère la "magie" de la pensée stérile...
Les petits déj' healthy esthétisés à l'extrême
Souvent sublimement mis en scène, les petits déjeuners saturés en super aliments et autres graines à la mode n'ont pas leur pareil pour faire culpabiliser la mère de famille ayant du se contenter - faute de temps - du fond de bol de Nesquik du petit dernier. Et ce d'autant plus lorsque, le dimanche matin venu, alors que l'intéressée tente de se composer une assiette de fruits frais supposée développer sa bienveillance envers elle-même, les framboises de la barquette bio se révèlent toutes flétries, les cerises moribondes et le kiwi relativement pâlot. Sans parler de l'échec de la mise en beauté de ce frugal festin supposé lui tenir au corps toute la matinée. Dans la pratique, les conséquences de ce visionnage régulier de rainbow smoothie bowls et autres oeuvres d'art pour frugivore se résument donc souvent à une intense frustration...
Petites frutrations instafoodesques
Les photos de plats italiens visionnées à 10h du matin donnant envie d'engloutir dans l'instant deux tonnes de spaghettis bolognaises.
Les parts de moelleux au chocolat accompagnées de deux cuillères (ce qui sous-entend que celles-ci ne peuvent être ingurgitées par un seul estomac).
Les gâteaux impossibles à reproduire soi-même (à moins de posséder un CAP en pâtisserie).
Les viennoiseries super caloriques photographiées intactes (et qui le resteront certainement)...
Ce que j'en pense
Si l'on met de côté l'ennui profond que génère en moi la succession de ce genre de clichés, ce qui me dérange le plus dans ce phénomène c'est le fait de faire de la nourriture un énième faire-valoir. Les spaghettis de courgettes deviennent ainsi les nouvelles mules Gucci, le nouveau Comporta…
Si essayer de manger sain, de faire du repas un moment convivial ou d'offrir une dimension esthétique à son soufflé au chocolat sont des aspirations tout à fait louables, force est de constater qu'une fois "instagrammées", celles-ci deviennent inévitablement synonymes de performance et d'illusion.
Mettre en scène la nourriture - avec tout ce que cela comporte de sous-entendus, de néo-égocentrisme, d'injonctions tacites, de pression et de fausse naïveté - ne fait à mon avis qu'aggraver la relation fascination/rejet/désir/haine/attirance que la société occidentale entretient avec celle-ci...
Bon appétit ;)
Par Lise Huret, le 29 septembre 2017
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