Au-delà de l'établissement du tartan comme imprimé phare, de l'avènement de la fourrure dans les vestiaires casual ou de l'offensive du slim en cuir, l'esprit grungy semble avoir imprégné durablement l'air du temps. En y allant crescendo (des collants outrageusement filés d'un défilé new-yorkais aux luxueuses créations parisiennes maltraitées par Christophe Decarnin), la mouvance destroy s'est échappée du folklore westwoodien pour infuser des collections plus conventionnelles.
Il n'est donc plus nécessaire d'arborer moult piercings et autres tignasses peroxydées pour se glisser dans des vêtements troués, lacérés ou déchirés, ceux-ci n'ayant plus rien d'anti-establishment. Ils sont d'ailleurs passés dans le vocabulaire des rédactrices de mode, qui n'hésitent plus à mixer un denim massacré avec des pump YSL ou à associer tee-shirt troué et bijoux Swarovski.
Pourtant, qui aurait cru en 2000 - lorsque John Galliano défraya la chronique avec son défilé "Clochards" - que quelques années plus tard les critiques porteraient aux nues le trash urbain d'un certain Alexander Wang ? À en croire le scandale déclenché par ce défilé Dior pour le moins subversif, il était alors fort peu probable que "luxe" puisse un jour rimer avec "destroy"...
Néanmoins, il est clair que les règles d'hier - visant à faire rimer élégance et col amidonné, bon goût et sage taffetas ou encore protocole et toilettes majestueuses - ne sont plus immuables. Les marchés du luxe, de la couture et de la mode ont en effet compris que pour perdurer, ils se devaient de parvenir à séduire leurs jeunes clientes richissimes en alliant luxe extrême et influences rock and roll.
C'est ainsi que l'on voit apparaître des bracelets en diamants noirs sertis d'une tête de mort et avoisinant les 12400 € (De Grisogono) ou que l'on déchire un voile émaillé de mini strass précieux pour conférer à une robe de cocktail cette patine grunge désormais hautement prisée (Balmain). Dès lors, l'aspect torturé de la matière devient un art en soi, un domaine dans lequel le duo Rodarte excelle. En effet, celles qui avaient attiré Anna Wintour par le côté couture de leurs créations ont su récemment faire gagner au destroy ses lettres de noblesse...
Cependant, si le haut de gamme peut s'accommoder d'un trou justement placé, que le jean déchiré peut sans aucune difficulté accompagner une petite veste Chanel et que la joaillerie de luxe s'inspire désormais de l'imagerie hard rock, cela ne signifie pas pour autant que le laisser-aller - aussi orchestré soit-il - sera éternellement une valeur sûre.
Bien au contraire : plus la mode s'enfonce dans le destroyement correct, plus les créateurs risquent d'avoir soudainement envie d'en prendre le total contre-pied. Il s'agit donc de profiter de ces deux ou trois prochaines saisons pour expérimenter toutes les possibilités du punk chic, histoire que lorsque le vent tournera, nous soyons presque heureuses de retrouver tailleurs et pieds de poule...
©photo : Vogue & Fashiontoast