Euphoria : dress code et émotions
613
Depuis la garde-robe affolante de Carrie Bradshaw et les tenues "Upper East Side" de Blair Waldorf, rares sont les looks des héroïnes de séries attirant réellement l'attention. C'était cependant sans compter sur Euphoria, le nouveau petit bijou de HBO qui, avec son stylisme en parfaite osmose avec les us et coutumes de la génération Z, risque fort d'influencer simultanément gent adolescente, fashion sphère et bureaux de tendances. Tour d'horizon des raisons qui rendent à mes yeux le stylisme de la série terriblement impactant…
Une costumière styliste avant tout
Si Heidi Bivens s'est récemment illustrée en capturant l'essence du dress code des skateurs nineties dans le film "Mid90s", c'est néanmoins au sein de l'univers de la mode que la jeune femme fit ses armes. Styliste pour i-D, Purple, W ou encore Vogue, elle y apprit ainsi l'art de raconter des histoires en télescopant des vêtements et se construisit une solide culture mode. Des atouts non négligeables lorsque l'on se voit confier l'élaboration de la garde-robe de personnages contemporains en prise avec les fluctuations de l'air du temps.
Des comédiennes impliquées
Oublié le styliste démiurge habillant ses actrices telles des poupées de chiffon : entre Heidi Bivens et les protagonistes d'Euphoria, l'humeur est davantage au brainstorming qu'aux figures de style imposées. La styliste a en effet conscience de travailler avec des femmes qui, au delà de leur métier de comédienne, possèdent une aura très forte, une personnalité tranchée et pour certaines une dimension activiste. Autant dire qu'il aurait été dommage de ne pas se servir de cette force pour tenter de composer avec elles des looks correspondant au mieux à leur personnage.
C'est ainsi qu'en discutant avec Zendaya, Heidi Bivens s'est rendu compte que ce qu'elle avait prévu - à savoir l'habiller de vêtements créateurs rappelant ses apparitions sur tapis rouges - ne fonctionnait absolument pas, la jeune actrice étant au naturel bien plus boyish que girly. Elles ont dès lors décidé de repenser le vestiaire de Rue en piochant dans celui de Zendaya et en faisant la part belle aux pièces workwear (Dickies) et streetwear (Supreme).
Et si Hunter Schafer créa une dizaine de mood boards afin d'illustrer au mieux ses envies pour son personnage, Barbie Ferreira se fit quant à elle une joie d'écumer les boutiques vintages en compagnie de Heidi Bivens afin de dénicher des tenues pouvant matérialiser avec à propos l'évolution de Kat.
Des marques plus accessibles
Démodés les looks Gucci/Dior/Chanel des poupées de l'Upper East Side (Gossip Girl) : les héroïnes d'Euphoria ne dépensent pas l'équivalent de trois loyers dans leur 15e sac à main, et c'est tant mieux. À leurs trouvailles vintages, elles mixent ainsi des pièces estampillées Réalisation Par, Reformation, Cotton Citizen, Gosha Rubchinskiy ou encore Nodress. Des marques qui, si elles restent onéreuses, n'en sont pas pour autant totalement inaccessibles.
Un dress code adapté au modus operandi de la génération Z
En prise directe avec la manière de consommer et de porter les vêtements des 15-25 ans, les dress codes de Rue, Jules et Kate séduisent par leur capacité à créer leur propre tendance. Chemise hawaïenne sur un bermuda de garçon, micro robe - shoppée au rayon "elfes" - réchauffée d'une veste zippée sportswear ou encore lunettes de vue papillon associées à une paire de Doc Martens basses : les vêtements et accessoires sont ici piochés indistinctement aux rayons "Femme", "Homme", "Enfant", "Déguisements "ou encore "Seconde main". L'idée étant d'habiller les protagonistes en collant à une certaine réalité plutôt que de looker des ados de 17 ans comme des multimillionnaires de 30 ans.
Le make up en guest star
Il n'est pas rare d'apercevoir sur le contour des yeux de Rue une poignée de paillettes dorées semblant dégouliner sur les joues de la jeune femme. Un effet saisissant, tant il contraste avec la dégaine tomboy du personnage et souligne sa dimension enfantine, presque naïve. Une sorte de clown triste.
Avec Hunter Schaffer, le make up devient véritablement un élément à part entière du look du personnage. En prise directe avec la passion de Jules pour les animes japonais (et plus particulièrement Madoka Magica), celui-ci joue avec les codes du manga, de l'art contemporain et du costume de scène, entre nuage dessiné en guise d'eye-liner, loup de plumes métallisées collées sur la peau, ombre à paupières arc-en-ciel et trait rouge esprit néo-samouraï. Un travail que l'on doit à Doniella Davy.
Look et psychologie
Afin de prendre la mesure de la dimension psychologique du dress code des héroïnes d'Euphoria, rien de tel que de revisionner la série en coupant le son. Vous remarquerez alors que l'évolution stylistique des principaux protagonistes est directement liée à ce qu'elles vivent. Pas besoin de dialogues : leurs vêtements suffisent à transmettre émotions, tergiversations, angoisses et désarrois.
C'est ainsi qu'au début de la série, Jules s'habille de manière aguicheuse pour attirer le regard de la gent masculine, avant d'aller vers des tenues à la dimension plus fantaisie/girly ; comme si elle cherchait à trouver refuge au sein d'un monde imaginaire. Sans parler de ses sacs à dos régressifs, qui semblent vouloir la retenir dans les buées psychédéliques d'une enfance fantasmée.
De son côté, le personnage de Kate opère une véritable mue en abandonnant ses looks rétro/geek pour des tenues punk/SM illustrant de manière assez premier degré la prise de pouvoir de cette ex-complexée sur son corps et sa sexualité (voir ici et là). Elle finira par trouver un juste milieu lors du dernier épisode en acceptant de laisser transparaître sa douceur au travers de ses nouveaux atours de femme forte via une quasi-absence de make up.
Toxicomane bipolaire n'ayant pas fait le deuil de son père, Rue affiche quant à elle une garde-robe oscillant entre pièce "doudou" (à l'instar de son hoody trop grand qui semble lui servir de couverture de survie tout au long de la série), blazer/veste loose dissimulant ses attributs féminins et tenues masculines plus raffinées pour le soir.
Contrairement aux deux personnages précédents, ses looks n'évoluent pas graduellement, mais suivent un autre schéma : tour à tour ultra looses lors de ses moments de déprime, de manque, de perte de contrôle (voir ici, ici et là) et plus structurés (toujours en mode "street" bien entendu), moins informes lorsqu'elle se sent plus joyeuse, plus vive (voir ici et là). Une illustration assez réaliste du trouble bipolaire…
Par Lise Huret, le 09 septembre 2019
Suivez-nous sur , et
J'espère que les séries vont avoir tendance à prendre ce tournant. Ici le spectateur n'est pas mis à distance et assimilé à un simple consommateur, à l'intelligence sous estimée. Ici, on fait écho à son vécu, il est à la fois inspiration et inspiré. C'est comme une invitation à assumer la personne que l'on veut être.